Théorie dingue de Bérillon (1915) : la bromidrose fétide des Allemands !

En 1914, les esprits sont tournés vers la guerre. Presque tout le monde veut embrocher son ennemi. Mais, pour rendre les choses plus amusantes et donner encore plus de motivation au moment de tuer, la propagande se met en place.

Parmi les idées les plus étranges et pourtant, les plus populaires, il y a la thèse d’Edgar Bérillon sortie en 1915. Il est sûr de lui : pour des raisons génétiques, comportementales et environnementales, l’Allemand pue encore plus que la choucroute !

Amusons-nous en découvrant sa théorie loufoque, mais terriblement dangereuse…

Qui est Bérillon et était-il un docteur respectable ?

Bérillon n’est pas un auteur du Canard Enchaîné qui tentait une blague, mais un véritable docteur. Médecin, fondateur de magazines scientifiques, franc-maçon athée, il coche toutes les cases du gars que l’on dit « respectable » dans les hautes sphères.

Mais, il y a un point sur lequel il déconne : les Allemands. Vous ne pouvez pas lui mettre une tête de Boche devant les yeux sans qu’il crie des insanités et se lave dix fois les mains.

Comme beaucoup d’hommes de son époque, il pense que l’Allemand est l’ennemi ultime. Il est né en 1859. Il a donc connu l’invasion prussienne de 1870. Ces animaux avaient massacré près de 150 000 Français et avaient occupé plusieurs parties du pays. Puis, quand ils avaient compris qu’ils devaient rentrer voir leur petit Frau, ils avaient chipé l’Alsace et la Lorraine au passage.

Comment un homme rationnel comme Bérillon pourrait-il expliquer ce comportement ? Un esprit simplet parlerait des guerres qui existent depuis la nuit des temps, des enjeux financiers, de la haine entre les peuples… Lui, il est docteur. Il n’a pas de discussion de comptoir.

Il fait des recherches sérieuses et établit une théorie solide comme la maison en pierres du dernier petit cochon : « Le Français est supérieur à l’Allemand génétiquement ». Jusque-là, sommes-nous vraiment sur une découverte ?

Plus sérieusement, il approfondit ses thèses et découvre un mal inhérent à la race allemande. Il la qualifie sobrement : la bromidrose fétide de la race allemande !

Pour mieux comprendre sa théorie, j’ai lu un de ses articles dans sa revue de psychothérapie et de psychologie appliquée. Il y explique ses conclusions sans le moindre doute. Vous allez le voir, c’est corsé !

Qu’est-ce la bromidrose selon Bérillon ?

La bromidrose est un joli nom qui signifie la puanteur par la sueur. En gros, la prochaine fois que vous rentrez du travail et que vous sentez le chacal, justifiez-vous auprès de votre partenaire : « Désolé chérie, j’ai bien mis du déodorant ce matin et je ne sors pas d’un bar avec les collègues. Je suis juste atteint de bromidrose. J’aimerais plus d’empathie de ta part. ».

Bérillon n’invente pas le mot. La bromidrose existe réellement et des hommes et des femmes en souffrent.

La nouveauté du grand docteur Bérillon est de balancer que tout le peuple allemand est atteint par la bromidrose.

Il avance une preuve meilleure que celles de Sherlock Holmes. Selon lui, tous les formulaires allemands prodiguent des conseils pour réduire la sueur fétide et particulièrement celle des pieds. Les formulaires français ne disent rien sur le sujet. C’est bien la preuve que ces maudits Allemands sentent le porcinet !

Puisqu’il veut enfoncer le couteau dans le bide de ceux qu’il déteste, il précise que le problème est endémique et n’est pas d’origine allemande, mais prussienne. Quelle coïncidence ! Voilà, les petits vilains qui nous ont envahis en 1870, c’est vous qui avez créé la puanteur allemande de la race entière !

Il balance même un petit scud en disant que la famille des Hohenzollern, celle de l’Empereur allemand Guillaume II, est particulièrement touchée alors qu’ils font tout pour éviter de puer. Pauvre Guillaume, il a beau se laver tous les jours, il pue l’Allemand. C’est un fait !

guillaume II
Guillaume II est particulièrement visé par Bérillon !

Un acte courageux serait de demander aux membres actuels des Hohenzollern si l’existence n’est pas trop dure quand on vit avec des reblochons à la place des pieds.

Bérillon dépeint la bromidrose fétide de l’Empereur comme terrible et pourtant, ce n’est selon lui que l’une des tares multiples de dégénérescence dont il est frappé !

Quant au peuple allemand, il n’a pas les finances d’un Empereur pour cacher sa puanteur horrible. Bosser auprès d’eux, c’est comme bosser dans une usine à betteraves. Bérillon affirme que tous les médecins qui ont soigné des blessés allemands le confirment.

L’Allemand sent tellement mauvais que l’odeur reste sur votre blouse et sur vos objets personnels pendant des heures. Et cela ne concerne pas que les blessés ! Même un petit Bastian ou Heinrich prisonnier chatouille le nez. Les officiers français qui les ramènent au camp de prisonniers sont obligés de tourner la tête ailleurs pour ne pas piquer du nez.

Écrit ainsi, cela ressemble à une technique de putois. L’Allemand pue tellement qu’il déconcerte l’ennemi. Quand votre garde ne vous regarde pas, la fuite doit être plus facile…

En revanche, avec les arguments de Bérillon, on se demande pourquoi nous n’avons pas gagné la guerre plus rapidement. Dans les tranchées, un simple courant d’air devait suffire pour faire comprendre que les Allemands approchaient. « Arrêtez votre progression lente, on vous sent les Boches ! ».

Avec Bérillon et tous les pseudoscientifiques propagandistes de son genre, l’adage : « plus c’est gros, plus ça passe » est toujours de rigueur.

Il énumère plein de situations où la bromidrose fétide des Allemands est prouvée. Il dit aussi que les petites Allemandes employées de bureau puent autant que les soldats qui marchent vingt kilomètres dans la journée avec les pieds enfermés dans les bottes.

Je ne vais pas citer tous ses égarements d’esprit, car ses écrits sont clairement redondants. Pour être totalement honnête, c’est même tellement idiot que lorsque je l’ai lu, je me suis demandé si le niveau littéraire et le niveau de débilité ne rejoignaient pas ceux que j’ai entrevus dans la lecture de « Mein Kempf ».

Je crois que l’exemple le plus pourri est celui des aviateurs. Selon lui, quand les aviateurs survolent les grandes villes allemandes, ils le réalisent tout de suite, car une odeur nauséabonde entre dans le cockpit. Même à très haute altitude, quand ça sent l’Allemand, ça sent l’Allemand !

Notons que le mal est endémique. Les Prussiens ont contaminé les Allemands. Mais, la bromidrose est l’équivalent d’un ancien nuage de Tchernobyl, puisque le mal n’a pas touché les Alsaciens et les Lorrains. Même en ayant intégré le territoire allemand, ces gens ont gardé le sang pur et l’odeur supportable.

Bérillon remonte même cette tare à de nombreux siècles puisque l’on disait « puer comme un Goth » au Moyen Âge. Comment aurait réagi notre grand docteur si on lui avait rappelé les origines germaniques de Clovis, de Charlemagne ou la présence du royaume wisigoth pendant 3 siècles dans une bonne partie de la France ? Il aurait peut-être enlevé ses chaussures pour vérifier qu’il n’avait pas de fromage entre les orteils.

L’Allemand pue, c’est donc un fait prouvé. Mais, pourquoi pue-t-il ? Edgar Bérillon reste un scientifique. Il ne peut pas tout mettre sur le dos de la fatalité. Rassurez-vous, il ne se dégonfle pas. C’est le genre de mecs qui serait capable de trouver mille preuves pour justifier que la Terre est plate.

Pourquoi les Allemands sont-ils particulièrement atteints de bromidrose selon Bérillon ?

J’ai prévenu : Bérillon avait des arguments. Je n’ai pas dit qu’ils étaient bons.

Il indique que la médecine a prouvé que les états émotifs avaient une forte incidence sur les sécrétions. Pour le moment, il a raison. Qui n’a jamais eu les aisselles d’un coureur de fond à cause du stress d’un entretien d’embauche ou de l’énervement suscité par « ces idiots qui ne savent jamais garder leur voie dans un rond-point » ?

Pour rester dans la métaphore automobile, c’est ici que notre cher docteur se permet un raccourci partial comme un journaliste de BFM TV.

Les Allemands ont une odeur fétide malgré toutes leurs précautions. Ils ne peuvent pas le contrôler. La raison incombe à leurs émotions. Ils puent, car ils se contrarient tout le temps.

La race allemande est orgueilleuse, colérique, vaniteuse, susceptible… L’Allemand ne pouvant se contrôler, ses sécrétions font de même.

Et, ne soyez pas le gâcheur de thèse raciste : ne dites pas qu’un Allemand en pleine guerre pue logiquement à cause des efforts physiques ou d’une nourriture déséquilibrée. Bérillon l’assure : un Allemand pue autant en plein combat qu’en temps de paix.

Bérillon ne manquait pas de preuves étranges…

Et si vous êtes un Allemand qui contredit ces thèses, il argumente en citant un proverbe allemand : « Chacun trouve que son excrément ne sent pas mauvais ». Est-ce que ce proverbe allemand existe ? Je ne sais même pas. Bérillon balance tellement de bananes que démêler le vrai du faux est compliqué.

Pensez-vous que ces bêtises s’arrêtent là ? Non ! Passons à l’urine. Selon Bérillon, le pipi d’un Allemand est à l’image de ses pieds. Les tests en laboratoire le démontrent. Il faut 45 centimètres cubes d’urine française pour tuer un cobaye. Pour celle allemande, 30 centimètres cubes suffisent ! Et oui, des malades ont vraiment mis de la pisse sur des pauvres bêtes…

En lisant ce test sur l’urine, j’ai compris que les Allemands avaient une mauvaise stratégie militaire. Les Boches se sont fatigués à nous lancer des obus pour nous tuer alors que des ballons gonflables remplis de leurs urines qui se seraient éclatés sur nos soldats auraient permis de les exterminer à distance et de remporter la guerre sans effort !

Puis, la même erreur survient 25 ans plus tard. Ces Allemands, ils sous-estiment toujours le poison que représente leur urine ! Ils se sont fatigués à créer des chambres à gaz alors que de simples chambres à pisse auraient été aussi efficaces ! Quel gâchis d’argent public !

Cette odeur fétide concerne aussi le sperme. Heureusement, Bérillon semble s’être mis une limite puisqu’il ne détaille pas trop cette partie…

Je ne vais pas ressortir tout le texte, passons à sa conclusion.

Quelle est la conclusion d’Edgar Bérillon sur la bromidrose fétide allemande ?

De nos jours, si vous constatez que les prisons possèdent une majorité de prisonniers étrangers et que vous le dites, vous êtes un raciste.

À l’époque de Bérillon, cette menace de la bien-pensance n’existe pas. En réalité, c’est même l’inverse. Les ancêtres de la communauté qui dit ce qu’il faut dire ou penser voulaient que l’on détruise les Allemands. L’intelligentsia, les politiques et les scientifiques applaudissent donc quand le docteur écrit : « « La chair de l’allemand n’est pas celle du français ; elle est autre. » 

Encore mieux, Bérillon reçoit un amas de compliments pour avoir conclu : « De mes recherches sur la question de l’odeur de la race allemande, je suis arrivé à la conclusion qu’il s’agit non d’une odeur due à des conditions spéciales d’hygiène ou d’alimentation, mais d’une odeur spécifique de race ».

Il en tire des certitudes très dangereuses. La bromidrose fétide allemande n’est pas une erreur de la nature, c’est un bienfait. En refilant cette odeur aux Boches, elle nous protège et nous informe que ces individus sont nuisibles. Ne pas tenir compte de ce que la nature nous indique serait un manque d’instinct de conservation.

Vous êtes peut-être en train de vous dire que je parle d’un épiphénomène et que tout le monde avait vite rangé Bérillon au rang des malades mentaux. Pas du tout.

Les conclusions de Bérillon… font le bonheur du monde scientifique !

Ses thèses rencontrent un certain succès. Il les expose même à la Société de Médecine de Paris et le Bulletin des Armées les détaille en plein conflit en 1915. Plein de confrères s’emparent du sujet. Le postulat de départ n’est pas de vérifier les dires, mais de trouver les preuves d’une théorie qui fait consensus. Les Boches sentent mauvais, trouvons pourquoi !

Ne croyez pas que Bérillon est l’exception. D’autres scientifiques français feront des études sur d’autres maux supposés des Allemands. Outre-Rhin, des savants scientifiques allemands feront de grandes découvertes. Celle que je préfère prouve, à leur façon, que les Français auraient un gène qui favorise la déficience mentale.

Nous sommes donc sur une élite scientifique et intellectuelle qui a des échanges de thèses consistant à dire :

« Tu pues génétiquement. 

  • Tais-toi. D’abord, t’es un trisomique. C’est ma fiole qui le dit ! »

Pendant ce temps, des millions d’hommes à la foi patriotique sincère s’entretuent pour des motifs qu’ils ne connaissent pas et sous l’impulsion d’une propagande totalement absurde.

Cet exemple qui date de 1915 permet aussi de comprendre que les thèses scientifiques ultérieures des nazis pour justifier l’extermination de juifs, slaves ou tziganes ne sont pas un égarement unique dans l’histoire. Des folies pour prouver que tel peuple est inférieur à tel autre peuvent rencontrer une acceptation des dirigeants et du grand public. La problématique est juste de savoir comment l’amener et l’utiliser. Plusieurs exemples l’ont prouvé dans le passé et on sait tous qu’il y en aura d’autres. L’histoire est un éternel recommencement.

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