Les habitants du Moyen Âge ne vivaient pas dans la peur du burnout, de la voiture volée ou de « Monique qui demande le divorce ». Leurs peurs étaient toutes autres. Nos ancêtres avaient peur de la mauvaise récolte qui termine en famine générale, de la peste capable de tuer tout un village en une semaine, des Anglais parce qu’ils sont anglais et des criminels.
Parmi ces criminels capables de servir de menace pour les enfants qui n’écoutent pas assez leurs parents, il y avait ceux des Grandes Compagnies. Quand ces mercenaires par intérim n’avaient pas de contrat, ils vivaient en pillant, violant et tuant des villages entiers.
Découvrons ces monstres et leurs méfaits.
Les Grandes Compagnies en vidéo !
Durée de la vidéo : 10 minutes
Qui étaient les Grandes Compagnies au Moyen Age ?
Le premier point à détailler est que sont les Grandes Compagnies. Malgré leur joli nom, ce ne sont pas des entreprises du CAC 40 médiéval. Ne cherchez pas en elles des ancêtres de Louis Vuitton ou de Total.
Les Grandes Compagnies sont des groupes de mercenaires. Ces grandes bandes d’hommes en proie à des accès de violence dignes des Mongols de Gengis Khan soutenaient le plus offrant.
Des bandes armées qui pillent méthodiquement sont apparues au XIIe siècle. Mais, les Grandes Compagnies structurées apparaissent plutôt vers le XIVe siècle et vont perdurer jusqu’au XVème siècle.
Elles ont notamment été particulièrement actives pendant la guerre de Cent Ans qui, je le rappelle, se déroule de 1337 à 1453.
Ces mercenaires sont parfois français, parfois étrangers. La liste de leurs surnoms est aussi longue que celles que nous avons pour qualifier nos ennemis anglais : brabançon, cottereaux, ravisseurs, paillers… D’autres surnoms sont utilisés selon leurs origines géographiques comme les Aragonais, les Gascons, les Allemands ou les Bretons. Mais, le surnom le plus connu est les routiers.
Et pour ceux qui croient que ce problème était purement français, détrompez-vous ! Le phénomène n’est pas limité à la France. Tous les pays d’Europe ont eu leurs lots de problèmes avec des Grandes Compagnies.
La diversité est présente au sein des effectifs. N’imaginez pas que les routiers ne sont que des gueux qui se battent pour obtenir ce qu’ils n’ont jamais eu. Certains chefs sont des chevaliers et vous retrouvez dans quelques noms une particule de noblesse. Ils peuvent se battre par goût du sang ou par goût de la richesse.
De plus, il ne faut pas sous-estimer leur organisation. Le chef est un véritable patron. Vous ne dirigez pas des milliers d’esprits sauvages en un claquement de doigts. Il faut à la fois les recruter, les payer et les diriger. Dans les compagnies les mieux organisés, il y a même des gars dont le travail est de répartir équitablement les butins entre les membres.
Ces mercenaires étaient les bienvenus pendant les batailles
Ces routiers sont un mal nécessaire pendant les batailles. Beaucoup de combats se remportent grâce à leur soutien. Mais, puisque ce sont des mercenaires, ne comptez pas sur leur fidélité. Vous jouez avec le feu. Il vous suffit d’un retard de paiement ou d’une contre-offre pour les voir filer dans le camp adverse. En gros, ils se comportent comme des footballeurs professionnels… Bon, par contre, ils n’hurlent pas à la mort au moindre contact physique et recherchent plutôt à briser les os de l’adversaire.
Leur nombre est parfois énorme. Un bon exemple est le groupe des Tard-Venus qui ont été par la suite d’horribles criminels autour de Lyon et en Auvergne. Leur groupe a compté jusqu’à 15 000 membres. Nous ne sommes donc plus sur des bandes de racailles, mais sur de véritables armées dignes des djihadistes de Daesh, avec l’idéologie et la barbe dégueulasse en moins.
Quand il y a des batailles, ils assouvissent leur soif de sang. Ils reçoivent même une rémunération pour ça. C’est un peu comme si une armée peuplée de profils allant de Guy George pour les plus romantiques, à Attila pour les plus impatients, n’était pas neutralisée, mais recevait un petit billet pour la féliciter de leurs meurtres.
Sauf, qu’une fois la bataille finie, que se passe-t-il ? Au Moyen Age, personne n’a eu l’idée de créer une indemnisation chômage. Les mercenaires n’ont pas l’occasion d’aller pointer à France Travail, de montrer un certificat attestant de leurs cent meurtres à Bouvines pour toucher une pension jusqu’à la prochaine bataille.
Or, pensez-vous que tous les hommes qui vivent de l’épée et qui ne rechignent pas au meurtre pour voler un croûton de pain sont capables de se réinsérer dans la société civile entre chaque combat ? Peu de routiers ne se sentent pas l’âme d’un paysan, d’un aubergiste ou d’un artisan en temps de paix.
Pour ceux qui finissent désœuvrés, il y a deux solutions possibles : se revendre au plus offrant pour des basses œuvres, ou se servir en nourriture, en argent et en femmes sans demander.
Que font des mercenaires quand il n’y a pas de guerre ?
Dans la première situation, les Grandes Compagnies restent fidèles à leur statut de mercenaires. Ils ne participent plus à des campagnes militaires ou des batailles fameuses, mais plutôt à des vendettas ou des meurtres commandités. En gros, c’est un peu comme un GI qui revient du Viêtnam et termine tueur à gage pour la mafia.
Si vous êtes un seigneur et que vous avez un problème à régler avec le voisin, vous appelez les routiers. Ils sont efficaces et discrets.
Mais, cette situation de bras droit des seigneurs est plus rare que les épisodes de sauvagerie autonome.
La plupart du temps, les routiers errent sans but comme des clandestins, mais ils sont plus forts, mieux organisés. Au lieu de voler le sac à une mamie qui sort du supermarché ou d’agresser une gamine de 13 ans qui va au collège, ils se réunissent à plusieurs milliers, attaquent un village et ressortent le ventre plein, les testicules vides et les poches remplies.
Ils sont tellement puissants qu’ils n’hésitent pas à s’attaquer aux châteaux. Ainsi, les Tard-Venus que j’ai cités précédemment réussissent à prendre le château de Joinville et accaparent un butin énorme.
Ces Grandes Compagnies n’hésitent pas à attaquer les églises et les autres lieux religieux, puisque certains de ces lieux gardent beaucoup d’argent.
Et quand ils n’attaquent pas tout un village, ils ont une autre technique : kidnapper un riche ou un bien précieux, puis l’échanger contre une rançon. Il n’y a pas à dire : leur business model était plus valable que la plupart des entreprises financées par BpiFrance.
Mais, à un moment, il faut que la fête se finisse. Les condamnations de leurs actes s’enchaînent. On tente bien de leur proposer des croisades pour aller faire chez les musulmans, au profit de la chrétienté, les horreurs qu’ils ont déjà fait chez nous, mais qui a envie d’aller rencontrer de l’adversité sous le soleil du désert ?
Donc, il faut d’autres solutions, et plusieurs actions combinées vont avoir raison des Grandes Compagnies.
La fin des Grandes Compagnies
Je commence avec le courage des petits. Plus on avance dans le temps, plus la réaction des populations locales est forte. Les autorités locales s’organisent et donnent du fil à retordre aux pilleurs.
Elles n’installent pas des alarmes horribles qui retentissent dès qu’un gitan tente de casser un carreau. Elles sont plus offensives. Les hommes forment des milices, s’arment et se défendent. L’efficacité est limitée face à des professionnels de la guerre, mais il vaut mieux mourir l’arme à la main et infliger des pertes, qu’à genoux et en suppliant.
Un autre motif parfois soulevé est le redressement économique. Après la guerre de Cent-Ans, les récoltes paisibles reprennent, les économies dans les villes se développent et même les traumatisés des guerres trouvent plus facilement de quoi vivre sans risquer leur vie en volant des pauvres qui, nous l’avons vu, ont l’audace de mieux se défendre.
Toutefois, la raison qui apparait comme la meilleure est la modification des armées. Elles se professionnalisent. Les rois ont besoin d’une force permanente pour réellement contrôler leurs territoires, assurer la sécurité du peuple et la leur, mais aussi pouvoir mener des guerres sans contrainte.
Un bon exemple est la décision prise par Charles VII. En 1445, il promulgue la Grande Ordonnance de Louppy-le-Château qui permet la création d’une armée permanente composée de 15 compagnies. Cela représente près de 9000 hommes, au service du roi, payés en temps de guerre comme de paix.
Il a fallu du temps, mais le roi a compris qu’il valait mieux payer des soldats professionnels en permanence que de dealer avec des freelances armés jusqu’aux dents, incontrôlables et un peu demeurés sur les bords.
Cette décision rend les Grandes Compagnies obsolètes et quelques membres des grandes compagnies finissent même dans les armées permanentes. Cela fait penser au virage pris récemment par le groupe Wagner en Russie, dont une partie des membres a intégré l’armée régulière.
Pour les bandes qui perdurent, il reste deux solutions. La première est de les éliminer. L’armée du roi chasse les routiers après leurs méfaits et les tuent.
La deuxième solution est de continuer à les utiliser comme mercenaires dans des conflits extérieurs. Par exemple, durant la guerre de succession de Castille (entre 1475 et 1479), des contingents de mercenaires français, issus des traditions des Grandes Compagnies, sont utilisés pour soutenir les belligérants.
En Italie, les mercenaires qui sont appelés les Condottieri (ou « condottières » en français) réussissent à perdurer jusqu’au XVIe. Dans un tel pays dont les richesses attirent toutes les convoitises et où les différentes petites républiques semblent toujours en conflit, les mercenaires étaient précieux. Toutefois, il faut relever que les Condottière sont des organisations plus formalisées que les Grandes Compagnies de soudards et disposent de véritables contrats avec les cités-États ou les papes.
Et pourtant, même là, ils finissent désuets et disparaissent à cause de la réorganisation des armées, la meilleure structuration des États, puis la période de domination espagnole.
La fin des Grandes Compagnies n’est donc pas liée à une extermination militaire de tous les groupes, mais plutôt à une évolution.
Article écrit par Denis
Créateur de la Tête Haute Française, je partage mon amour de l’Histoire de France sans prétention, en essayant de la rendre amusante (même si je sais que cet humour ne sied pas à tout le monde).