Philippe le Bel a-t-il VRAIMENT fait gifler le Pape ?! (Attentat d’Anagni)

Le pape est le chef de l’Église catholique. Même dans nos sociétés occidentales qui se détournent de la religion, le successeur de l’apôtre Pierre est respecté. On écoute ses dires, même quand il déconne complètement, et on le reçoit en grande pompe.

Le royaume de France n’a pas toujours agi ainsi. Il y a eu des périodes où la réception en grande pompe était plutôt une réception à coup de pompe dans le derrière.

Une affaire retentissante a lieu en 1303 et choque toute l’Europe. Elle est même qualifiée « d’attentat d’Anagni ». Rassurez-vous, il n’y a pas eu un moyenâgeux qui s’est fait sauter au cri de « Jésus Akhbar », mais le Pape a quand même reçu une vraie intimidation physique.

Je vous raconte tous les détails en quelques minutes et réponds à la question que tout le monde se pose :  a-t-on vraiment giflé le Pape ?

Pourquoi le royaume de France et le pape sont-ils en désaccord ?

Les rois de France n’ont pas toujours été des champions de la douceur, mais ils n’étaient pas non plus des tarés capables de gifler un pape sans raison. L’attentat d’Anagni éclate après un conflit durable entre la France et le pontife.

Comme souvent, le conflit entre le pape et le roi ne concerne pas une interprétation de l’évangile ou le choix de mettre une barbe longue ou courte au Jésus présent sur les crucifix du Royaume.

D’ailleurs, si l’on veut résumer, les conflits royaux avec la papauté se résument à 99% du temps à un problème de mariage (monsieur le roi veut divorcer pour mettre dans son lit une femme plus jeune et plus jolie) ou un problème d’argent. En 1295, c’est ce second souci qui se transforme en scandale politique.

Philippe le Bel lève des impôts auprès de l’Église sans prévenir le Pape !

Philippe le Bel, le propre petit-fils de Saint-Louis, a besoin de thunes. Il vit comme un Roi-Soleil et guerroie contre les Flamands. Ce ne sont pas les taxes prélevées sur les artisans du royaume qui vont lui remplir suffisamment les poches.

Il décide donc de chercher l’argent là où il se trouve, dans les poches de l’Église. Il enchaîne deux impôts ponctuels importants sans même demander au pape Boniface VIII son accord. Le pontife lit et relit la Bible ; il constate que personne en Judée n’avait annoncé que Philippe le Bel pourrait lui voler son portefeuille. Il ne tend pas la joue et il ne tend pas non plus un autre billet !

Le pape enrage, balance des bulles papales avant de baisser la tête une première fois face aux pressions. Il essaie même de faire amende honorable en canonisant Saint-Louis.

Philippe le Bel a bien réussi son coup : son papi devenu saint est une preuve de plus que le roi de France n’est pas un simple larbin du pontife.

L’arrestation d’un évêque enrage Boniface VIII

Mais, cette bonne entente pour la canonisation de Saint-Louis n’est qu’une façade. La cruche est pleine. Elle finit par déborder en 1301 quand Philippe le Bel demande l’arrestation d’un évêque : Bernard Saisset.

L’évêque Bernard Saisset semble être le type d’homme qui a la bouche trop loin du cerveau. Il raconte devant des témoins que le roi de France n’est pas légitime. En face de lui se trouve pourtant un homme capable de faire écrouler les Templiers, un ordre religieux et militaire qui possède plusieurs siècles d’existence, et de faire condamner sa belle-fille à l’isolement. Ce n’est pas un religieux en robe qui attraperait des ampoules à tenir une épée qui peut lui faire peur.

philippe le bel
Philippe le Bel défie le Pape et le conflit s’envenime.

Averti des envies de trahison du prélat, il saisit les biens de l’évêque et exige une enquête. Encore une fois, la ligne téléphonique entre la France et l’Italie ne semble pas marcher. Philippe le Bel ne prévient pas le Pape.

Le fou, il croit qu’un roi est le seul maître du royaume de France. Non, c’est Dieu qui est le maître de tout et son serviteur le plus haut, le Pape, devrait être au courant de tout ce qui touche l’Église.

En plus, Bernard Saisset est jugé par le tribunal lambda. C’est une nouvelle offense puisqu’un évêque n’est pas un paysan voleur de poules. Le seul lieu possible pour le juger était légalement un tribunal ecclésiastique. Le conflit dure même après la condamnation pour choisir le lieu de détention de l’évêque.

Le désaccord ressemble à un conflit entre Poutine et l’OTAN. Chacun teste les limites de l’autre et à un moment, cela pète. Le pape est d’un naturel colérique. Mélangez les mots du « Notre Père » et cet homme est capable de vous mettre la raclée de votre vie.

Car, si je traite un peu Boniface VIII comme la victime dans cet article, il ne faut pas se tromper pour autant. Ce n’est pas un pape du XXIe siècle ! Il a forcé son prédécesseur à démissionner et l’a emprisonné. Puis, il se bat sans cesse pour être le souverain le plus puissant d’Europe et forcer les autres à agir sous ses ordres. Il me semblait que l’orgueil et la colère étaient des péchés capitaux. Je n’ai pas dû lire la même Bible que Boniface…

En tout cas, une chose est sûre : Boniface VIII en a assez de Philippe le Bel. Il le menace d’excommunication. Pour un catholique, c’est la pire condamnation possible. Il vaut mieux se faire fouetter comme un galérien que de se faire exclure de la communauté chrétienne.

Philippe le Bel encaisse la menace, réfléchit et agit. Il n’est pas le type d’homme qui s’excuse quand on lui marche sur les pieds. Lui, il retire son pied de sous la chaussure, lui donne de l’élan et vous le flanque dans le bide !

Le Pape voit débouler les sbires du roi

Que fait un parrain de la mafia quand un autre boss le menace ? Il ne part pas la batte de base-ball au bras. Il envoie ses sbires régler l’affaire. C’est exactement ce que fait Philippe le Bel.

Guillaume de Nogaret prend son cheval, calcule l’angle de galop et part en Italie. J’imagine que sur le chemin, tous les hommes en armes se montent le bourrichon. Nous avons tous connu ces épisodes étranges. Vous êtes énervé contre une personne. Si vous le croisez à l’instant T, vous avez une envie de le massacrer comme une taupe qui défoncerait votre jardin.

Puis, le trajet dure longtemps. Une fois arrivé devant votre cible, vous avez déjà tout donné et vous faites des remontrances dignes d’une institutrice sans autorité.

Nogaret ne tombe pas dans ce piège. Il déboule chez les Ritals en grognant et avec la queue droite comme un chien enragé. L’objectif est ambitieux : trouver le pape, le convoquer à un concile et le faire destituer. L’homme fort du royaume de France se juge digne de punir l’homme fort du royaume de Dieu. De là à imaginer que l’on pense la France plus forte que le Ciel, il n’y a qu’un pas.

Le jour où vous mourrez, n’espérez pas le Paradis et Dieu. Espérez les quais de Seine et Anne Hidalgo.

La rencontre non désirée avec le Pape se déroule à Anagni. Vous comprenez désormais le nom de l’affaire : « l’attentat d’Anagni ». Cette ville est la ville de naissance de Boniface VIII. Il est tranquillement en train de jouir des lieux quand il voit débouler des Français énervés accompagnés de quelques Romains dirigés par la famille Colonna qui profite de l’élan pour venir également se venger.

Les choses dégénèrent et une claque est amorcée

Une dispute éclate évidemment. Et vous connaissez les Italiens, ils parlent fort et avec les mains. Le bruit et les gestes maladroits font monter la pression.

Dans le coin du Vatican, vous avez un pontife âgé en grande robe entouré de gars comme lui. Ils excommunient et ils condamnent les hérétiques avec l’autorité de Dieu. Mais, l’autorité de Dieu est céleste. Face à des mecs bourrés de testostérone qui éventrent les adversaires uniquement pour que le blason de la famille soit connu de tous, le coin du Vatican n’est pas de taille.

attentat anagni
Claque ou pas claque ? Les historiens sont indécis.

Un Colonna commet une erreur qui peut nous arriver à tous. Ne le blâmons pas ! En pleine dispute, il confond le point d’exclamation et le poing dans la gueule. Il sort la boite à gifles. Heureusement, il est arrêté dans son geste par un Français. Nous sommes volontaires pour arrêter un Pape, pas pour se comporter comme des racailles de cité qui frappent un gars à dix contre un.

Les historiens soutiennent majoritairement pour ce récit de la claque italienne avortée par un Français. Mais, d’autres versions minoritaires disent autre chose. Quelques-unes affirment que Colonna a réussi à mettre sa gifle. D’autres accusent Nogaret d’avoir giflé lui-même, et réellement, le pape. On surnomme même cet acte le « soufflet d’Anagni ».

Un serviteur du roi de France giflant le Pape faisant plus rêver qu’une confrontation sans violence, il n’est pas étonnant que ce récit subversif ait rencontré un certain succès.

Enfin, quelques-uns affirment que toute l’histoire de la gifle donnée ou avortée est fausse. L’utilisation du terme ne serait qu’une métaphore.

Encore une fois, démêler le vrai et le faux est difficile. Au mieux, le terrible « Attentat d’Anagni » est donc… une gifle ! En France, on aimerait avoir eu ce type d’attentats plutôt que nos déchets fanatisés du Bataclan.

Mais, même sans claque, l’histoire est folle. Les Français remettent au Pape une convocation à un concile qui doit déboucher sur sa destitution. C’est un camouflet total pour le pape.

Le peuple délivre un pape qui meurt un mois plus tard

Heureusement pour lui, si la royauté française ne le croit plus digne de sa fonction, le peuple pense différemment. Les paysans autour d’Anagni se rebellent et veulent délivrer leur pape des mains des soldats. Face à ce sursaut populaire, les Français décident de partir plutôt que de débuter une boucherie qui aurait probablement terminé en défaite, compte tenu du nombre important d’adversaires.

Le pape est choqué, terrifié. Comme pour beaucoup d’hommes du Moyen-Age, on ne connait pas son année de naissance. Mais, lors de ces évènements, il est certain qu’il a déjà plus de 70 ans. C’est trop difficile à gérer pour un homme de son âge. Moins d’un mois plus tard, le 7 juillet 1304, il décède. Les contemporains racontent qu’il est mort de chagrin et d’humiliation.

Pour le royaume de France, la fin est belle. En 1305, Philippe le Bel jubile. Après un passage express d’un Benoît IX italien qui ne dure qu’un an, le nouveau pape est un Français, Clément V. La papauté s’installe même sur le territoire du royaume de France, à Avignon. Étonnamment, Clément V fait un grand travail de lèche-bottes et valide le bon comportement de Philippe le Bel durant son conflit avec Boniface VIII.

Dans ces affaires, la parole de Jésus semble bien loin !

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